diff --git a/capa1/droit_civil/cas_pratiques/regime_de_la_preuve/vente_vase.md b/capa1/droit_civil/cas_pratiques/regime_de_la_preuve/vente_vase.md new file mode 100644 index 0000000..d3d1ecf --- /dev/null +++ b/capa1/droit_civil/cas_pratiques/regime_de_la_preuve/vente_vase.md @@ -0,0 +1,210 @@ +M. Morin a vendu à la concubine de son fils, lors d'un diner de famille, un vase +pour 10000 euros, à la suite d'un accord verbal. Le lendemain, l'acquéreuse +adresse au vendeur une lettre postale dans laquelle elle manifeste sa volonté de +payer le prix convenu. Après plusieurs semaines, cette dernière indique vouloir +payer quand elle aura elle-même vendu le bien. M. Morin souhaite être payé +immédiatement. + +La première question de droit est de déterminer sur qui repose la charge de la +preuve. + +En droit, l'article 1353 du Code civil dispose que "Celui qui réclame +l'exécution d'une obligation doit la prouver.". Ainsi la loi indique que c'est +au plaignant de fournir la preuve d'un fait ou d'un acte juridique qu'il +reproche au défenseur. + +En l'espèce, M. Morin est celui qui, insatisfait du non-paiement immédiat du +prix fixé par le contrat de vente, vient demander conseil juridique, en vue +d'une éventuelle action en justice. + +En conséquence, la charge de la preuve de la vente incombe à M. Morin. + +Il convient cependant d'envisager les exceptions à cette règle de droit que sont +les présomptions, d'une part, et les stipulations sur la preuve prévue par un +contrat de vente. + +S'agissant des présomptions, en droit, l'article 1354 dispose que "La +présomption que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les +tenant pour certains dispense celui au profit duquel elle existe d'en rapporter +la preuve". Ainsi, celui sur qui la charge de la preuve repose peut être +dispensé de l'apporter, dans certains cas spécifiques prévus par la loi. Ces cas +sont appelées des présomptions légales. + +En l'espèce, la vente d'un vase n'est couverte par aucune des présomptions +légales. + +En conséquence, M. Morin devra bien fournir la preuve de l'existence de la +vente. + +S'agissant de stipulations sur la preuve, en droit, l'article 1356 du Code civil +dispose que "Les contrats sur la preuve sont valables lorsqu'ils portent sur des +droits dont les parties ont la libre disposition". Il est ainsi possible pour +les parties d'un contrat de convenir sur la charge de la preuve, et notamment de +prévoir un renversement de la charge de la preuve, où ce serait à l'acquéreur de +prouver l'extinction de son obligation, comme prévu par l'article 1353 du Code +civil qui dispose que "celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou +le fait qui a produit l'extinction de son obligation". + +En l'espèce, le contrat n'ayant pas fait l'objet d'un écrit, aucune clause +relative à la preuve n'a ainsi été prévue. + +En conséquence, la charge de la preuve n'est pas renversée, et il incombe donc à +M. Morin de prouver l'existence de la vente. + +La charge de la preuve ayant été établie, il convient d'établir l'objet de la +preuve, d'une part, et de considérer l'admission de la preuve, d'autre part. + +S'agissant de l'objet de la preuve, en droit, il existe une distinction suivant +qu'il s'agisse d'un fait juridique, ou d'un acte juridique. Le fait juridique a +trait à un événement ayant produit des effets juridiques sans qu'ils ne soient +la manifestation d'intentionalité d'un sujet de droit. A l'inverse, un acte +juridique est caractérisé par la manifestation d'une volonté de la part d'un +sujet de droit. Dans le cas d'un fait juridique, l'article 1358 du Code civil +dispose que la preuve est libre, en ces termes : "Hors les cas où la loi en +dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen". Dans le cas +d'un acte juridique, c'est l'article 1359 et suivants qu'il convient de +considérer. + +En l'espèce, le vendeur et l'acquéreuse ont négocié un contrat de vente oral, ce +qui constitue la manifestation de leur volonté d'effectuer cette vente. + +En conséquence, l'objet de la preuve porte sur l'acte juridique de la vente. + +S'agissant de l'admission de la preuve, en droit, l'article 1359 du Code civil +dispose que "L'acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un +montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou +authentique". Cet article s'interprête en fonction d'un montant fixé par le +décret n° 80-533 du 15 juillet 1980, modifié par le décret 2016-1278 du 29 +septembre 2016. Ce dernier dispose que "La somme ou la valeur visée à l'article +1359 du code civil est fixée à 1 500 euros". Ainsi, pour tous les actes +juridiques dont la somme reste inférieure à 1500 euros, la preuve reste libre, +tandis que les actes juridques dont la somme est supérieure à 1500 euros ne +peuvent être prouvés qu'à l'aide d'un acte authentique, ou d'un acte sous seing +privé. + +En l'espèce, la vase a été vendu pour la somme de 10000 euros, valeur dont +l'acquéreuse ne semble pas contester le montant. Le contrat de vente est +cependant oral, et il n'existe aucun acte authentique ni d'acte sous seing +privé permettant de prouver la vente. + +En conséquence, M. Morin ne peut prouver la vente par la production d'un acte +admissible comme preuve. + +Cela établi, il convient de considérer si M. Morin peut se prévaloir de +certaines exceptions permettant de prouver l'existence de la vente. Ces +dernières sont relatives à la nature des parties au contrat, à la présentation +d'une copie fiable du contrat de vente, à l'aveu judiciaire ou au serment +décisoire, à l'impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, ou au +commencement de la preuve par écrit. + +S'agissant de la nature des parties au contrat, en droit, l'article 110-3 du +Code de commerce dispose "A l'égard des commerçants, les actes de commerce +peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par +la loi". Cet article vise à protéger les consommateurs en leur permettant de +prouver plus aisément des actes juridiques en présence d'un commerçant, réputé +plus compétent. + +En l'espèce, l'énoncé ne précise pas la profession de l'acquéreuse. + +En conséquence, si cette dernière est une commercante, la preuve pourrait être +libre. Dans la contraire, M. Morin devra prouver la vente par un moyen +admissible. + +S'agissant de la copie fiable, en droit, la production d'une copie fiable et +durable peut avoir la même force probante qu'un acte original, comme en dispose +l'article 1379 du Code civil. Ce dernier dispose que : "La copie fiable a la +même force probante que l'original. La fiabilité est laissée à l'appréciation du +juge. Néanmoins est réputée fiable la copie exécutoire ou authentique d'un écrit +authentique. Est présumée fiable jusqu'à preuve du contraire toute copie +résultant d'une reproduction à l'identique de la forme et du contenu de l'acte, +et dont l'intégrité est garantie dans le temps par un procédé conforme à des +conditions fixées par décret en Conseil d'État. Si l'original subsiste, sa +présentation peut toujours être exigée". + +En l'espèce, le contrat de vente ayant été conclu à l'oral, il n'existe pas plus +de copie fiable que d'acte original. + +En conséquence, M. Morin ne pourra fournir une copie fiable comme preuve de +l'existence de la vente. + +S'agissant de l'aveu judicaire ou du serment décisoire, en droit, l'article 1361 +du Code civil dispose qu'il "peut être suppléé à l'écrit par l'aveu judiciaire, +le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un +autre moyen de preuve". Ainsi, pendant l'instruction, si le défenseur avoue +l'acte juridique ou prete un serment décisoire en faveur du plaignant, alors ce +dernier dispose d'une preuve admissible. + +En l'espèce, M. Morin vient nous consulter sur sa capacité à prouver l'existence +de la vente. Aucune action en justice n'a encore été instruite, et faire reposer +l'issue de cette action sur la bonne volonté de l'acquéreuse semble hasardeux. + +En conséquence, M. Morin ne devrait pas considérer l'aveu judiciaire ou le +serment décisoire comme des moyens de prouver l'existence de la vente. + +S'agissant de l'impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, en +droit, l'article 1360 du Code civil dispose que "Les règles prévues à l'article +précédent reçoivent exception en cas d'impossibilité matérielle ou morale de se +procurer un écrit, s'il est d'usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque +l'écrit a été perdu par force majeure". L'article de référence est l'article +1359 du Code civil, déjà exposé supra, qui limite la preuve aux actes +authentiques ou aux actes sous seing privé lorsque la somme est supérieure à une +valeur fixée par décret. Ainsi, cet article indique que la preuve redevient +libre lorsqu'il existe une impossibilité matérielle ou morale de se procurer un +écrit, ou lorsque celui-ci a été perdu par force majeure. La jurisprudence +retient généralement comme impossibilité morale, le fait d'exiger un écrit +auprès d'un membre de la famille. + +En l'espèce, l'acquéreuse est la concubine du fils du vendeur. Bien que n'étant +pas stricto sensus liée à la famille du vendeur par un contrat de mariage, le +juge du fond pourrait retenir l'impossibilité morale d'exiger un contrat écrit, +eu égard à son fils. + +En conséquence, suivant l'appréciation du juge sur l'impossibilité morale +d'exiger l'établissement d'un contrat écrit entre le vendeur et l'acquéreuse, la +preuve pourrait devenir libre, et ainsi permettre à M. Morin de pouvoir +présenter des preuves jusqu'ici inadmissibles. + +S'agissant du commencement de preuve par l'écrit, l'article 1361 du Code civil, +déjà exposé supra, dispose que le commencement de preuve par écrit peut être une +preuve admissible, si ce dernier est corroboré par d'autres preuves. Pour qu'un +commencement de preuve par écrit soit reconnu, il faut un écrit de celui qui +conteste l'acte juridique, et qui rende vraisemblable ce qui est allégué, comme +en dispose l'article 1362 du Code civil : "Constitue un commencement de preuve +par écrit tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui +qu'il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué". + +En l'espèce, M. Morin dispose d'une lettre postale, envoyée par l'acquéreuse, +confirmant sa volonté de payer le prix convenu. Cette lettre émane donc bien de +celle qui conteste la vente, et elle rend vraisemblable l'existence de la vente, +puisqu'elle établit une reconnaissance de dette d'un montant égal à celui +convenu lors de l'établissement du contrat oral. + +En conséquence, suivant l'appréciation du juge de fond, la preuve pourrait être +libre et ainsi permettre à M. Morin de prouver l'existence de la vente par tout +moyen. + +Que ce soit par l'impossibilité morale de se procurer un écrit du fait de la +relation familiale distante du vendeur et de l'acquéreur, ou grâce au +commencement de preuve par écrit constitué par la lettre envoyée par +l'acquéreuse, M. Morin pourrait, selon l'appréciation du juge du fond, faire +usage de tous moyens de preuve. + +En droit, l'article 1381 du Code civil dispose que "la valeur probante des +déclarations faites par un tiers dans les conditions du code de procédure civile +est laissée à l'appréciation du juge". Les déclarations faites par un tiers sont +constituées par les témoignages que peuvent apporter des personnes n'étant +partie prenante à l'acte juridique considéré. + +En l'espèce, le contrat de vente oral a été établi à l'oral, lors d'un diner de +famille auquel ont participé plusieurs tiers. + +En conséquence, sous l'appréciation du juge du fond, les personnes présentes à +ce diner de famille pourraient témoigner de l'existence de la vente. + +Ainsi, M. Morin, à qui incombe la charge de la preuve, ne dispose pas d'écrits +ayant valeur probante quant à l'existence de la vente. Ce dernier pourra +cependant tenter de prouver l'existence de la vente grâce à plusieurs +hypothèses, selon l'appréciation du juge du fond : l'impossibilité morale de se +procurer un écrit et un commencement de preuve par écrit. Si l'une de ces +hypothèses est validée, M. Morin pourrait alors faire appel aux témoins de la +vente, et ainsi en prouver l'existence, et en exiger l'obligation.