diff --git a/capa1/droit_civil/cas_pratiques/application_dans_le_temps/contrat_de_bail.md b/capa1/droit_civil/cas_pratiques/application_dans_le_temps/contrat_de_bail.md new file mode 100644 index 0000000..cc015ea --- /dev/null +++ b/capa1/droit_civil/cas_pratiques/application_dans_le_temps/contrat_de_bail.md @@ -0,0 +1,103 @@ +M. Morin est locataire d'un appartement. Son bailleur souhaite appliquer une +augmentation de loyer en vertu d'une loi nouvelle entrée en vigueur un an avant +l'échéance du contrat de bail. + +La question concerne l'applicabilité d'une loi nouvelle, entrée en vigueur +pendant l'exécution d'un contrat. + +Dans un premier temps, il convient de déterminer si la loi nouvelle prévoit des +dispositions transitoires. + +En droit, des dispositions transitoires sont des instructions disposées par une +loi et visant à résoudre les conflits d'application de la loi dans le temps, +vis-à-vis de lois plus anciennes. + +En l'espèce, la loi autorisant la majoration du loyer n'a pas été spécifiée +comme contenant des dispositions transitoires. + +En conséquence, l'applicabilité de la loi dans le temps pour ce litige suit les +règles générales. + +Il convient également de déterminer si les faits relèvent de la manière pénale +ou de la matière civile. + +En droit, l'article L111-1 du Code pénal dispose que "les infractions pénales +sont classées, suivant leur gravité, en crimes, délits et contraventions". +Ainsi, un fait ou un acte juridique ne relève du Code pénal que si ce dernier +constitue une infraction. À l'inverse, le Code civil vise à établir des règles +de résolution de conflits entre sujets de droit. + +En l'espèce, le litige discuté ici ne constitue pas une infraction au Code +pénal. De même, le litige oppose le locataire à son bailleur, tous deux sujets +de droit, ce qui est encadré par le Code civil. + +En conséquence, le litige discuté relève de la matière civile. + +La question de droit est dès lors celle de l'applicabilité dans le temps de loi +en matière civile. + +En droit, l'article 2 du Code civil dispose que "La loi ne dispose que pour +l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif". Cet article énonce le principe +général de non-rétroactivité de la loi en matière civile. Ainsi, la loi nouvelle +s'applique de manière immédiate pour les effets futurs et sans modification des +effets passés. + +En l'espèce, la décision du bailleur d'augmenter le loyer grâce aux dispositions +de la loi nouvelle est postérieure à l'entrée en vigueur de cette dernière. + +En conséquence, suivant le principe de non-rétroactivité général, le bailleur +semble fondé à augmenter le loyer de M. Morin. + +Il existe cependant des exceptions à ce principe de non-rétroactivité qu'il +convient de considérer. Ces exceptions ont trait au contenu de la loi, à sa +nature et à la situation contractuelle en regard de la doctrine. + +S'agissant du contenu de la loi, en droit, la jurisprudence de la première +chambre civile de la Cour de cassation en date 4 décembre 2001 prévoit qu'en cas +de considération d'ordre public impérieux, la loi nouvelle s'applique +immédiatement et de manière rétroactive, afin que l'intérêt général prime sur +celui des contractants. De même, une loi peut être expressément rétroactive si +elle en dispose ainsi dans son texte. + +En l'espèce, l'augmentation de loyer ne relève pas de l'intérêt général. De +plus, aucune mention n'est faite que la loi contienne des dispositions expresses +concernant sa rétroactivité. + +En conséquence, le principe de non-rétroactivité général continue de +s'appliquer, étant donné que la loi nouvelle ne contient aucune disposition +expresse quant à sa rétroactivité, et étant donné que l'exception ayant trait +aux considérations générales d'ordre public impérieux ne semble pas s'appliquer +au cas d'espèce. + +S'agissant des exceptions liées à la nature de la loi, en droit, les lois +interprétatives venant préciser une loi ancienne font corps avec la loi ancienne +et s'appliquent à la date d'entrée en vigueur de la loi ancienne. Les lois de +validation permettent de valider des actes jugés irréguliers de façon +rétroactive. Enfin, les lois de procédures sont également rétroactives. + +En l'espèce, une loi permettant de révisant le loyer prévu dans un contrat de +bail ne semble relever ni d'une loi interprétative, ni d'une loi de validation, +ni d'une loi de procédures. + +En conséquence, ces exceptions ne s'appliquent pas au cas d'espèce. + +S'agissant de la situation contractuelle, en droit, la doctrine précise +cependant, grâce à la théorie de Paul Roubier de 1929, qu'en exception à +l'article 2 du Code civil, en situation contractuelle, le principe est celui de +la survie de la loi ancienne. Cette exception vise à protéger les prévisions +raisonnables des contractants, qui se sont fiés au moment de la conclusion du +contrat, à la législation en vigueur. + +En l'espèce, le locataire et son bailleur ont signé un contrat de bail, toujours +en vigueur. + +En conséquence, suivant le principe de survie de la loi ancienne en situation +contractuelle, la loi qui s'applique est la loi ancienne, sans qu'il soit +possible au bailleur de se prévaloir des dispositions de la loi nouvelle. + +Ainsi, attendu le principe général de non-rétroactivité de la loi en manière +civile, attendu le principe de survie de la loi ancienne en situation +contractuelle, attendu que la loi dont se prévaut le bailleur ne prévoit aucune +disposition expresse de rétroactivité ni de dispositions transitoires, et +attendu qu'aucune des autres exceptions à ces principes ne s'applique au cas +d'espèce, M. Morin semble donc fondé à refuser cette augmentation de loyer.